Page:Stendhal - Correspondance, I.djvu/351

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dans un mois et demi : l'amour me retient ici1, mais il faut que je m'en arrache, et plus j'y reste, plus ma faiblesse augmente. Que je vois bien combien les connaissances de l'esprit influent peu sur les détermi­nations du cœur ! J'ai cherché à connaître les passions depuis que j'existe ; peut-être les vois-je assez bien dans les gens qui me sont absolument indifférents, je n'en suis pas moins entraîné comme un enfant. Madame de R... me disait, il y a deux ans ; « Vous êtes terrible dans un cercle, lorsque vous passez devant vingt personnes ; mais dans le tête-à-tête, vous n'êtes qu'un enfant. » Je ne comprenais pas ce propos, je le sens actuel­lement. Ma maîtresse était allée huit jours à la campagne ; elle revint il y a îrois jours ; j'eus le courage de ne pas y aller. Vendredi, je croyais avoir dompté ma passion, j'étais très gai, je voyais tout du côté comique. J'y allai hier ; j'y trouvai du monde, je la vis et tout fut oublié ; je lui baisai la main, elle eut be­soin de me dire : « Embrassez-moi ! » Je ris, mais ce n'était plus cette joie forte de l'homme blasé sur tout et maître de

1. L'amour pour Mélanie Guilbert, dite louason. Beyle quittera Paris en même temps qu'elle le 8 mal et arrivera & Grenoble le 15 ou 16 mai. Sur cette partie de la vie d'Henri Beyle, on consulteia avec fruit son Journal,