Page:Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau.djvu/102

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Elle est la sensation elle-même. C’est peut-être parce que ces plaisirs ne peuvent pas être usés par des rappels à volonté, qu’ils se renouvellent avec tant de force, dès que quelque objet vient nous tirer de la rêverie consacrée à la femme que nous aimons, et nous la rappeler plus vivement par quelque nouveau rapport[1].

Un vieil architecte sec la rencontrait tous les soirs dans le monde. Entraîné par le naturel et sans faire attention à ce que je lui disais[2], un jour je lui en fis un éloge tendre et pompeux, et elle se moqua de moi. Je n’eus pas la force de lui dire : Il vous voit chaque soir.

Cette sensation est si puissante qu’elle s’étend jusqu’à la personne de mon ennemie qui l’approche sans cesse. Quand je la vois, elle me rappelle tant Léonore, que je ne puis la haïr dans ce moment, quelque effort que j’y fasse.

L’on dirait que par une étrange bizarrerie du cœur, la femme aimée communique plus de charme qu’elle n’en a elle-même. L’image de la ville lointaine où on la vit un instant[3] jette une plus profonde

  1. Les parfums.
  2. Voir la note 2 de la page 41.
  3. … Nessun maggior dolore
    Che ricordarsi del tempo felice
    Nella miseria.

    Dante, Francesca.