Page:Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau.djvu/103

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et plus douce rêverie que sa présence elle-même. C’est l’effet des rigueurs.

La rêverie de l’amour ne peut se noter. Je remarque que je puis relire un bon roman tous les trois ans avec le même plaisir. Il me donne des sentiments conformes au genre de goût tendre qui me domine dans le moment, ou me procure de la variété dans mes idées, si je ne sens rien. Je puis aussi écouter avec plaisir la même musique, mais il ne faut pas que la mémoire cherche à se mettre de la partie. C’est l’imagination uniquement qui doit être affectée ; si un opéra fait plus de plaisir à la vingtième représentation, c’est que l’on comprend mieux la musique, ou qu’il rappelle la sensation du premier jour.

Quant aux nouvelles vues qu’un roman suggère pour la connaissance du cœur humain, je me rappelle fort bien les anciennes ; j’aime même à les trouver notées en marge. Mais ce genre de plaisir s’applique aux romans, comme m’avançant dans la connaissance de l’homme, et nullement à la rêverie qui est le vrai plaisir du roman. Cette rêverie est innotable. La noter, c’est la tuer pour le présent, car l’on tombe dans l’analyse philosophique du plaisir ; c’est la tuer encore plus sûrement pour l’avenir, car rien ne paralyse l’imagination comme l’appel à la mémoire.