Page:Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau.djvu/117

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En même temps que l’attention fermait les yeux à tout ce qui était laid, pittoresquement parlant, elle s’attachait avec transport aux plus petits détails passables, par exemple, à la beauté de sa vaste chevelure ; s’il eût porté des cornes on les eût trouvées belles[1].

La présence de tous les soirs d’une jolie danseuse donne de l’attention forcée aux âmes blasées ou privées d’imagination qui garnissent le balcon de l’Opéra. Par ses mouvements gracieux, hardis et singuliers, elle réveille l’amour physique, et leur procure peut-être la seule cristallisation qui soit encore possible. C’est ainsi qu’un laideron qu’on n’eût pas honoré d’un regard dans la rue, surtout les gens usés, s’il paraît souvent sur la scène, trouve à se faire entretenir fort cher. Geoffroy disait que le théâtre est le piédestal des femmes. Plus une danseuse est

  1. Soit pour leur poli, soit pour leur grandeur, soit pour leur forme ; c’est ainsi, ou par la liaison de sentiments (voir plus haut les marques de petite vérole) qu’une femme qui aime s’accoutume aux défauts de son amant. La princesse russe C. s’est bien accoutumée à un homme qui en définitif n’a pas de nez. L’image du courage, et du pistolet armé, pour se tuer de désespoir de ce malheur, et la pitié pour la profonde infortune, aidées par ridée qu’il guérira, et qu’il commence à guérir, ont opéré ce miracle. Il faut que le pauvre blessé n’ait pas l’air de penser à son malheur.
    Berlin, 1807.