Page:Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau.djvu/118

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célèbre et usée, plus elle vaut : de là le proverbe des coulisses : « Telle trouve à se vendre qui n’eût pas trouvé à se donner. » Ces filles volent une partie de leurs passions à leurs amants, et sont très susceptibles d’amour par pique.

Comment faire pour ne pas lier des sentiments généreux ou aimables à la physionomie d’une actrice dont les traits n’ont rien de choquant, que tous les soirs l’on regarde pendant deux heures exprimant les sentiments les plus nobles, et que l’on ne connaît pas autrement ? Quand enfin l’on parvient à être admis chez elle, ses traits vous rappellent des sentiments si agréables, que toute la réalité qui l’entoure, quelque peu noble qu’elle soit, quelquefois, se recouvre à l’instant d’une teinte romanesque et touchante.

« Dans ma première jeunesse, enthousiaste de cette ennuyeuse tragédie française[1], quand j’avais le bonheur de souper avec Mlle Olivier, à tous les instants je me surprenais le cœur rempli de respect, à croire parler à une reine ; et réellement je n’ai jamais bien su si auprès d’elle j’avais été amoureux d’une reine ou d’une jolie fille. »

  1. Phrase inconvenante, copiée des mémoires de mon ami, feu M. le baron de Bottmer. C’est par le même artifice que Feramorz plaît à Lalla-Rook. Voir ce charmant poème.