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CHAPITRE XXI

De la première vue.


Une âme à imagination est tendre et défiante, je dis même l’âme la plus naïve[1]. Elle peut être méfiante sans s’en douter ; elle a trouvé tant de désappointements dans la vie ! Donc tout ce qui est prévu et officiel dans la présentation d’un homme, effarouche l’imagination et éloigne la possibilité de la cristallisation. L’amour triomphe, au contraire, dans le romanesque à la première vue.

Rien de plus simple ; l’étonnement qui fait longuement songer à une chose extraordinaire, est déjà la moitié du mouvement cérébral nécessaire pour la cristallisation.

  1. La fiancée de Lammermoor, miss Ashton. Un homme qui a vécu trouve dans sa mémoire une foule d’exemples d’amours, et n’a que l’embarras du choix. Mais s’il veut écrire, il ne sait plus sur quoi s’appuyer. Les anecdotes des sociétés particulières dans lesquelles il a vécu sont ignorées du public, et il faudrait un nombre de pages immense pour les rapporter avec les nuances nécessaires. C’est pour cela que je cite des romans comme généralement connus, mais je n’appuie point les idées que je soumets au lecteur sur des fictions aussi vides, et calculées la plupart plutôt pour l’effet pittoresque que pour la vérité.