Page:Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau.djvu/138

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repentir d’avoir voulu se faire violence pour lui parler d’amour. On a l’air honteux, on a l’air glacé, on aurait l’air menteur, si la passion ne se trahissait pas à d’autres signes certains. Exprimer ce qu’on sent si vivement et si en détail, à tous les instants de la vie, est une corvée qu’on s’impose, parce qu’on a lu des romans, car si l’on était naturel on n’entreprendrait jamais une chose si pénible. Au lieu de vouloir parler de ce qu’on sentait il y a un quart d’heure, et de chercher à faire un tableau général et intéressant, on exprimerait avec simplicité le détail de ce qu’on sent dans le moment ; mais non, l’on se fait une violence extrême pour réussir moins bien, et comme l’évidence de la sensation actuelle manque à ce qu’on dit, et que la mémoire n’est pas libre, on trouve convenables dans le moment et l’on dit des choses du ridicule le plus humiliant.

Quand enfin, après une heure de trouble, cet effort extrêmement pénible est fait de se retirer des jardins enchantés de l’imagination, pour jouir tout simplement de la présence de ce qu’on aime, il se trouve souvent qu’il faut s’en séparer.

Tout ceci paraît une extravagance. J’ai vu mieux encore, c’était un de mes amis qu’une femme qu’il aimait à l’idolâtrie, se prétendant offensée de je ne sais quel