Page:Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau.djvu/139

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manque de délicatesse qu’on n’a jamais voulu me confier, avait condamné tout à coup à ne la voir que deux fois par mois. Ces visites, si rares et si désirées, étaient un accès de folie, et il fallait toute la force de caractère de Salviati pour qu’elle ne parût pas au dehors.

Dès l’abord, l’idée de la fin de la visite est trop présente pour qu’on puisse trouver du plaisir. L’on parle beaucoup sans s’écouter ; souvent l’on dit le contraire de ce qu’on pense. On s’embarque dans des raisonnements qu’on est obligé de couper court, à cause de leur ridicule, si l’on vient à se réveiller et à s’écouter. L’effort qu’on se fait est si violent qu’on a l’air froid. L’amour se cache par son excès.

Loin d’elle l’imagination était bercée par les plus charmants dialogues ; l’on trouvait les transports les plus tendres et les plus touchants. On se croit ainsi pendant dix ou douze jours l’audace de lui parler ; mais l’avant-veille de celui qui devrait être heureux, la fièvre commence, et redouble à mesure qu’on approche de l’instant terrible.

Au moment d’entrer dans son salon, l’on est réduit, pour ne pas dire ou faire des sottises incroyables, à se cramponner à la résolution de garder le silence, et de la regarder pour pouvoir au moins se souvenir de sa figure. À peine en sa présence, il