Page:Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau.djvu/147

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et la pudeur prête à l’amour le secours de l’imagination, c’est lui donner la vie.

La pudeur est enseignée de très bonne heure aux petites filles par leurs mères, et avec une extrême jalousie, on dirait comme par esprit de corps ; c’est que les femmes prennent soin d’avance du bonheur de l’amant qu’elles auront.

Pour une femme timide et tendre rien ne doit être au-dessus du supplice de s’être permis, en présence d’un homme, quelque chose dont elle croit devoir rougir ; je suis convaincu qu’une femme, un peu fière, préférerait mille morts. Une légère liberté, prise du côté tendre par l’homme qu’on aime, donne un moment de plaisir vif[1] ; s’il a l’air de la blâmer ou seulement de ne pas en jouir avec transport, elle doit laisser dans l’âme un doute affreux. Pour une femme au-dessus du vulgaire, il y a donc tout à gagner à avoir des manières fort réservées. Le jeu n’est pas égal ; on hasarde contre un petit plaisir ou contre l’avantage de paraître un peu plus aimable, le danger d’un remords cuisant et d’un sentiment de honte, qui doit rendre même l’amant moins cher. Une soirée passée gaiement, à l’étourdie et sans songer à rien, est chèrement payée à ce prix. La vue d’un amant avec

  1. Fait voir son amour d’une façon nouvelle.