Page:Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau.djvu/148

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lequel on craint d’avoir eu ce genre de torts, doit devenir odieuse pour plusieurs jours. Peut-on s’étonner de la force d’une habitude à laquelle les plus légères infractions sont punies par la honte la plus atroce ?

Quant à l’utilité de la pudeur, elle est la mère de l’amour ; on ne saurait plus lui rien contester. Pour le mécanisme du sentiment, rien n’est si simple ; l’âme s’occupe à avoir honte, au lieu de s’occuper à désirer ; on s’interdit les désirs, et les désirs conduisent aux actions.

Il est évident que toute femme tendre et fière, et ces deux choses, étant cause et effet, vont difficilement l’une sans l’autre, doit contracter des habitudes de froideur que les gens qu’elles déconcertent appellent de la pruderie.

L’accusation est d’autant plus spécieuse qu’il est très difficile de garder un juste milieu ; pour peu qu’une femme ait peu d’esprit et beaucoup d’orgueil, elle doit bientôt en venir à croire qu’en fait de pudeur, on n’en saurait trop faire. C’est ainsi qu’une Anglaise se croit insultée si l’on prononce devant elle le nom de certains vêtements. Une Anglaise se garderait bien, le soir à la campagne, de se laisser voir quittant le salon avec son mari ; et, ce qui est plus grave, elle croit blesser la pudeur si elle montre quelque enjouement devant