Page:Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau.djvu/175

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à peine m’a-t-il rendu mon salut. Je suis allé à la cascade, j’ai traversé le Reno ; enfin, trois heures après au moins, en repassant sous le bosquet du jardin Zampieri, je l’ai vu encore ; il était précisément dans la même position, appuyé contre un grand pin qui s’élève au-dessus du bosquet de lauriers ; je crains qu’on ne trouvé ce détail trop simple et ne prouvant rien : il est venu à moi la larme à l’œil, me priant de ne pas faire un conte de son immobilité. J’ai été touché ; je lui ai proposé de rebrousser chemin, et d’aller avec lui passer le reste de la journée à la campagne. Au bout de deux heures, il m’a tout dit : c’est une belle âme ; mais que les pages que l’on vient de lire sont froides auprès de ce qu’il me disait !

En second lieu, il se croit non aimé ; ce n’est pas mon avis. On ne peut rien lire sur la belle figure de marbre de la comtesse Ghigi, chez laquelle nous avons passé la soirée. Seulement quelquefois une rougeur subite et légère, qu’elle ne peut réprimer, vient trahir les émotions de cette âme que l’orgueil féminin le plus exalté dispute aux émotions fortes. On voit son cou d’albâtre et ce qu’on aperçoit de ces belles épaules dignes de Canova rougir aussi. Elle trouve bien l’art de soustraire ses yeux noirs et sombres à l’observation des gens dont sa