Page:Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau.djvu/182

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croyez-vous que cette passion malheureuse ait été sans avantages pour Salviati ? D’abord, il éprouva le malheur d’argent le plus piquant qui se puisse imaginer. Ce malheur, qui le réduisait à une fortune très médiocre, après une jeunesse brillante, et qui l’eût outré de colère dans toute autre circonstance, il ne s’en souvenait pas une fois tous les quinze jours.

Ensuite, ce qui est bien autrement important pour une tête de cette portée, cette passion est le premier véritable cours de logique qu’il ait jamais fait. Cela paraîtra singulier chez un homme qui a été à la cour ; mais cela s’explique par son extrême courage. Par exemple, il passa sans sourciller la journée du * * *, qui le jetait dans le néant ; il s’étonnait là, comme en Russie, de ne rien sentir d’extraordinaire ; il est de fait qu’il n’a jamais rien craint au point d’y penser deux jours. Au lieu de cette insouciance, depuis deux ans, il cherchait à chaque minute à avoir du courage ; jusque-là il n’avait pas vu de danger.

Quand, par suite de ses imprudences et de sa confiance dans les bonnes interprétations[1], il se fut fait condamner à ne voir la femme qu’il aimait que deux fois par mois, nous l’avons vu ivre de joie

  1. Sotto l’usbergo del sentirsi pura.
    Dante.