Page:Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau.djvu/184

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sieurs fois que le bonheur qu’il devait à un accueil qui lui semblait moins froid était bien inférieur en intensité au malheur que lui donnait une réception sévère[1]. Madame * * * manquait quelquefois de franchise avec lui : voilà les deux seules objections que je n’aie jamais osé lui faire. Outre ce que sa douleur avait de plus intime et dont il eut la délicatesse de ne jamais parler même à ses amis les plus chers et les plus exempts d’envie, il voyait dans une réception sévère de Léonore le triomphe des âmes prosaïques et intrigantes sur les âmes franches et généreuses. Alors il désespérait de la vertu et surtout de la gloire. Il ne se permettait de parler à ses amis que des idées tristes à la vérité auxquelles le conduisait sa passion, mais qui d’ailleurs pouvaient avoir quelque intérêt aux yeux de la philosophie. J’étais curieux d’observer cette âme bizarre ; ordinairement l’amour-passion se rencontre chez des gens un peu niais à l’allemande[2]. Salviati, au contraire, était au nombre des hommes les plus fermes et les plus spirituels que j’aie connus.

J’ai cru voir qu’après ces visites sévères,

  1. C’est une chose que j’ai souvent cru voir dans l’amour, que cette disposition à tirer plus de malheur des choses malheureuses que le bonheur des choses heureuses.
  2. Dom Carlos, Saint-Preux, l’Hippolyte et le Bajazet de Racine.