Page:Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau.djvu/185

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il n’était tranquille que quand il s’était justifié les rigueurs de Léonore. Tant qu’il trouvait qu’elle pouvait avoir eu tort de le maltraiter, il était malheureux. Je n’aurais jamais cru l’amour si exempt de vanité.

Il nous faisait sans cesse l’éloge de l’amour. « Si un pouvoir surnaturel me disait : Brisez le verre de cette montre, et Léonore sera pour vous ce qu’elle était il y a trois ans, une amie indifférente ; en vérité, je crois que dans aucun moment de ma vie je n’aurais le courage de le briser. » Je le voyais si fou en faisant ce raisonnement, que je n’eus jamais le courage de lui présenter les objections précédentes.

Il ajoutait : « Comme la réformation de Luther, à la fin du moyen âge, ébranlant la société jusque dans ses fondements, renouvela et reconstitua le monde sur des bases raisonnables, ainsi un caractère généreux est renouvelé et retrempé par l’amour.

« Ce n’est qu’alors qu’il dépouille tous les enfantillages de la vie ; sans cette révolution, il eût toujours eu je ne sais quoi d’empesé et de théâtral. Ce n’est que depuis que j’aime que j’ai appris à avoir de la grandeur dans le caractère, tant notre éducation d’école militaire est ridicule.

« Quoique me conduisant bien, j’étais un enfant à la cour de Napoléon et à Moscou. Je faisais mon devoir mais j’ignorais cette