Page:Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau.djvu/205

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne peut pas exprimer (parce que la langue est trop grossière pour atteindre à ces nuances), n’en existe pas moins pour cela, seulement comme ce sont des choses très fines on est plus sujet à se tromper en les observant.

Et un observateur très ému observe mal ; il est injuste envers le hasard.

Ce qu’il y a peut-être de plus sage, c’est de se faire soi-même son propre confident. Écrivez ce soir sous des noms empruntés, mais avec tous les détails caractéristiques, le dialogue que vous venez d’avoir avec votre amie, et la difficulté qui vous trouble. Dans huit jours si vous avez l’amour-passion, vous serez un autre homme, et alors, lisant votre consultation, vous pourrez vous donner un bon avis.

Entre hommes, dès qu’on est plus de deux et que l’envie peut paraître, la politesse oblige à ne parler que d’amour physique ; voyez la fin des dîners d’hommes. Ce sont les sonnets de Baffo[1] que l’on récite et qui font un plaisir infini, parce que chacun prend au pied de la lettre les

  1. Le dialecte vénitien a des descriptions de l’amour physique d’une vivacité qui laisse à mille lieues Horace, Properce, la Fontaine et tous les poètes. M. Buiati, de Venise, est en ce moment le premier poète satirique de notre triste Europe. Il excelle surtout dans la description du physique grotesque de ses héros, aussi le met-on souvent en prison. Voir l’Élefantéide, l’Uomo, la Strefeide.