Page:Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau.djvu/234

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voir ce qu’ils ajoutent de la fermeté héroïque, du sang-froid inaltérable du prisonnier qui non seulement ne donne aucun signe de douleur, mais qui brave et défie ses bourreaux par tout ce que l’orgueil a de plus hautain, l’ironie de plus amer, le sarcasme de plus insultant ; chantant ses propres exploits, énumérant les parents, les amis des spectateurs qu’il a tués, détaillant les supplices qu’il leur a fait souffrir, et accusant tous ceux qui l’entourent de lâcheté, de pusillanimité, d’ignorance à savoir tourmenter ; jusqu’à ce que, tombant en lambeaux et dévoré vivant sous ses propres yeux, par ses ennemis enivrés de fureur, le dernier souffle de sa voix et sa dernière injure s’exhalent avec sa vie[1]. Tout cela serait incroyable chez les nations civilisées, paraîtra une fable à nos capitaines de grenadiers les plus intrépides, et sera un jour révoqué en doute par la postérité. »

Ce phénomène physiologique tient à un état particulier de l’âme du prisonnier qui établit entre lui, d’un côté, et tous ses bourreaux, de l’autre, une lutte d’amour-propre, une gageure de vanité à qui ne cédera pas.

  1. Un être accoutumé à un tel spectacle, et qui se sent exposé à en être le héros, peut n’être attentif qu’à la grandeur d’âme, et alors ce spectacle est le plus intime et le premier des plaisirs non actifs.