Page:Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau.djvu/38

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mot de français, et sans les troubles et le carbonarisme, je ne serais jamais rentré en France. La bonhomie est ce que je prise avant tout.

Malgré beaucoup de soins pour être clair et lucide, je ne puis faire des miracles ; je ne puis pas donner des oreilles aux sourds ni des yeux aux aveugles. Ainsi les gens à argent et à grosse joie, qui ont gagné cent mille francs dans l’année qui a précédé le moment où ils ouvrent ce livre, doivent bien vite le fermer, surtout s’ils sont banquiers, manufacturiers, respectables industriels, c’est-à-dire gens à idées éminemment positives. Ce livre serait moins inintelligible pour qui aurait gagné beaucoup d’argent à la Bourse ou à la loterie. Un tel gain peut se rencontrer à côté de l’habitude de passer des heures entières dans la rêverie, et à jouir de l’émotion que vient de donner un tableau de Prud’hon, une phrase de Mozart, ou enfin un certain regard singulier d’une femme à laquelle vous pensez souvent. Ce n’est point ainsi que perdent leur temps les gens qui payent deux mille ouvriers à la fin de chaque semaine ; leur esprit est toujours tendu à l’utile et au positif. Le rêveur dont je parle est l’homme qu’ils haïraient s’ils en avaient le loisir c’est celui qu’ils prendraient volontiers pour plastron de leurs