Page:Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau.djvu/51

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Je compris aussi que la discrétion me faisait un devoir de changer les noms propres et surtout d’écourter les anecdotes. Quoiqu’on ne lise guère à Milan, ce livre, si on l’y portait, eût pu sembler une atroce méchanceté.

Je publiai donc un livre malheureux. J’aurai la hardiesse d’avouer qu’à cette époque j’avais l’audace de mépriser le style élégant. Je voyais le jeune apprenti tout occupé d’éviter les terminaisons de phrases peu sonores et les suites de mots formant des sons baroques. En revanche, il ne se faisait faute de changer à tout bout de champ les circonstances des faits difficiles à exprimer : Voltaire, lui-même, a peur des choses difficiles à dire.

L’Essai sur l’Amour ne pouvait valoir que par le nombre de petites nuances de sentiment que je priais le lecteur de vérifier dans ses souvenirs, s’il était assez heureux pour en avoir. Mais il y avait bien pis ; j’étais alors, comme toujours, fort peu expérimenté en choses littéraires ; le libraire auquel j’avais fait cadeau du manuscrit l’imprima sur mauvais papier et dans un format ridicule. Aussi, me dit-il au bout d’un mois, comme je lui demandais des nouvelles du livre : « On peut dire qu’il est sacré, car personne n’y touche. »

Je n’avais pas même eu l’idée de solli-