Page:Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau.djvu/65

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

En un mot, il suffit de penser à une perfection pour la voir dans ce qu’on aime.

Ce phénomène, que je me permets d’appeler la cristallisation, vient de la nature qui nous commande d’avoir du plaisir et qui nous envoie le sang au cerveau, du sentiment que les plaisirs augmentent avec les perfections de l’objet aimé, et de l’idée elle est à moi. Le sauvage n’a pas le temps d’aller au delà du premier pas. Il a du plaisir, mais l’activité de son cerveau est employée à suivre le daim qui fuit dans la forêt, et avec la chair duquel il doit réparer ses forces au plus vite, sous peine de tomber sous la hache de son ennemi.

À l’autre extrémité de la civilisation, je ne doute pas qu’une femme tendre n’arrive à ce point, de ne trouver le plaisir physique qu’auprès de l’homme qu’elle aime[1]. C’est le contraire du sauvage. Mais parmi les nations civilisées la femme a du loisir, et le sauvage est si près de ses affaires, qu’il est obligé de traiter sa femelle comme une bête de somme. Si les femelles de beaucoup d’animaux sont plus heureuses, c’est que la subsistance des mâles est plus assurée.

Mais quittons les forêts pour revenir à Paris. Un homme passionné voit toutes les perfections dans ce qu’il aime ; cependant

  1. Si cette particularité ne se présente pas chez l’homme, c’est qu’il n’a pas la pudeur à sacrifier pour un instant.