Page:Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau.djvu/66

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l’attention peut encore être distraite, car l’âme se rassasie de tout ce qui est uniforme, même du bonheur parfait[1].

Voici ce qui survient pour fixer l’attention :

6o Le doute naît.

Après que dix ou douze regards, ou toute autre série d’actions qui peuvent durer un moment comme plusieurs jours, ont d’abord donné et ensuite confirmé les espérances, l’amant, revenu de son premier étonnement, et s’étant accoutumé à son bonheur, ou guidé par la théorie qui, toujours basée sur les cas les plus fréquents, ne doit s’occuper que des femmes faciles, l’amant, dis-je, demande des assurances plus positives, et veut pousser son bonheur.

On lui oppose de l’indifférence[2], de la froideur ou même de la colère, s’il montre trop d’assurance ; en France, une nuance d’ironie qui semble dire : « Vous vous

  1. Ce qui veut dire que la même nuance d’existence ne donne qu’un instant de bonheur parfait ; mais la manière d’être d’un homme passionné change dix fois par jour.
  2. Ce que les romans du dix-septième siècle appelaient le coup de foudre, qui décide du destin du héros et de sa maîtresse, est un mouvement de l’âme qui, pour avoir été gâté par un nombre infini de barbouilleurs, n’en existe pas moins dans la nature ; il provient de l’impossibilité de cette manœuvre défensive. La femme qui aime trouve trop de bonheur dans le sentiment qu’elle éprouve, pour pouvoir réussir à feindre ; ennuyée de la prudence, elle néglige toute précaution et se livre en aveugle au bonheur d’aimer. La défiance rend le coup de foudre impossible.