Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme, II, 1927, éd. Martineau.djvu/338

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de trente-huit ans, ce qui fera manquer mon établissement avec le comte. Ainsi, je ne jouerai plus avec Votre Altesse, à moins que le prince ne me jure de m’adresser la parole comme il le ferait à une femme d’un certain âge, à Mme la marquise Raversi, par exemple.

On répéta trois fois la même pièce ; le prince était fou de bonheur ; mais, un soir, il parut fort soucieux.

— Ou je me trompe fort, dit la grande maîtresse à sa princesse, ou le Rassi cherche à nous jouer quelque tour ; je conseillerais à Votre Altesse d’indiquer un spectacle pour demain ; le prince jouera mal, et, dans son désespoir, il vous dira quelque chose.

Le prince joua fort mal en effet ; on l’entendait à peine, et il ne savait plus terminer ses phrases. À la fin du premier acte, il avait presque les larmes aux yeux ; la duchesse se tenait auprès de lui, mais froide et immobile. Le prince, se trouvant un instant seul avec elle, dans le foyer des acteurs, alla fermer la porte.

— Jamais, lui dit-il, je ne pourrai jouer le second et le troisième acte ; je ne veux pas absolument être applaudi par complaisance ; les applaudissements qu’on me donnait ce soir me fendaient le cœur.