Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme, II, 1927, éd. Martineau.djvu/62

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chose que du danger de perdre une place lucrative !… Et la duchesse !… Quelle terrible passion que l’amour !… et cependant tous ces menteurs du monde en parlent comme d’une source de bonheur ! On plaint les femmes âgées parce qu’elles ne peuvent plus ressentir ou inspirer de l’amour !… Jamais je n’oublierai ce que je viens de voir ; quel changement subit ! Comme les yeux de la duchesse, si beaux, si radieux, sont devenus mornes, éteints, après le mot fatal que le marquis N. est venu lui dire !… Il faut que Fabrice soit bien digne d’être aimé !…

Au milieu de ces réflexions fort sérieuses et qui occupaient toute l’âme de Clélia, les propos complimenteurs qui l’entouraient toujours lui semblèrent plus désagréables encore que de coutume. Pour s’en délivrer, elle s’approcha d’une fenêtre ouverte et à demi voilée par un rideau de taffetas ; elle espérait que personne n’aurait la hardiesse de la suivre dans cette sorte de retraite. Cette fenêtre donnait sur un petit bois d’orangers en pleine terre ; à la vérité, chaque hiver on était obligé de les recouvrir d’un toit. Clélia respirait avec délices le parfum de ces fleurs, et ce plaisir semblait rendre un peu de calme à son âme… Je lui ai trouvé l’air fort noble, pensa-t-elle ; mais inspirer une telle passion à une femme