Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme, II, 1927, éd. Martineau.djvu/63

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si distinguée !… Elle a eu la gloire de refuser les hommages du prince, et si elle eût daigné le vouloir, elle eût été la reine de ses états… Mon père dit que la passion du souverain allait jusqu’à l’épouser si jamais il fût devenu libre !… Et cet amour pour Fabrice dure depuis si longtemps ! car il y a bien cinq ans que nous les rencontrâmes près du lac de Côme !… Oui, il y a cinq ans, se dit-elle après un instant de réflexion. J’en fus frappée même alors, où tant de choses passaient inaperçues devant mes yeux d’enfant ! Comme ces deux dames semblaient admirer Fabrice !…

Clélia remarqua avec joie qu’aucun des jeunes gens qui lui parlaient avec tant d’empressement n’avait osé se rapprocher du balcon. L’un d’eux, le marquis Crescenzi, avait fait quelques pas dans ce sens, puis s’était arrêté auprès d’une table de jeu. Si au moins, se disait-elle, sous ma petite fenêtre du palais de la forteresse, la seule qui ait de l’ombre, j’avais la vue de jolis orangers, tels que ceux-ci, mes idées seraient moins tristes ! mais pour toute perspective les énormes pierres de taille de la tour Farnèse… Ah ! s’écria-t-elle en faisant un mouvement, c’est peut-être là qu’on l’aura placé ! Qu’il me tarde de pouvoir parler à don Cesare ! il sera moins sévère que le général. Mon père ne me dira rien certai-