Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme, II, 1927, éd. Martineau.djvu/79

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blement avec le comte, car je ne veux pas l’entraîner dans ma perte, ce serait une infamie ; le pauvre homme m’a aimée avec tant de candeur ! Ma sottise a été de croire qu’il restait assez d’âme dans un courtisan véritable pour être capable d’amour. Très-probablement le prince trouvera quelque prétexte pour me jeter en prison ; il craindra que je ne pervertisse l’opinion publique relativement à Fabrice. Le comte est plein d’honneur ; à l’instant il fera ce que les cuistres de cette cour, dans leur étonnement profond, appelleront une folie, il quittera la cour. J’ai bravé l’autorité du prince le soir du billet, je puis m’attendre à tout de la part de sa vanité blessée : un homme né prince oublie-t-il jamais la sensation que je lui ai donnée ce soir-là ? D’ailleurs le comte brouillé avec moi est en meilleure position pour être utile à Fabrice. Mais si le comte, que ma résolution va mettre au désespoir, se vengeait ?… Voilà, par exemple, une idée qui ne lui viendra jamais ; il n’a point l’âme foncièrement basse du prince : le comte peut, en gémissant, contre-signer un décret infâme, mais il a de l’honneur. Et puis, de quoi se venger ? de ce que, après l’avoir aimé cinq ans, sans faire la moindre offense à son amour, je lui dis : Cher comte ! j’avais le bonheur de vous