Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme, II, 1927, éd. Martineau.djvu/86

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dit-elle d’une voix faible, mais bien articulée, et qu’elle s’efforçait de rendre aimable ; séparons-nous, il le faut ! Le ciel m’est témoin que, depuis cinq ans, ma conduite envers vous a été irréprochable. Vous m’avez donné une existence brillante, au lieu de l’ennui qui aurait été mon triste partage au château de Grianta ; sans vous j’aurais rencontré la vieillesse quelques années plus tôt. De mon côté, ma seule occupation a été de chercher à vous faire trouver le bonheur. C’est parce que je vous aime que je vous propose cette séparation à l’amiable, comme on dirait en France.

Le comte ne comprenait pas ; elle fut obligée de répéter plusieurs fois. Il devint d’une pâleur mortelle, et, se jetant à genoux auprès de son lit, il dit tout ce que l’étonnement profond, et ensuite le désespoir le plus vif, peuvent inspirer à un homme d’esprit passionnément amoureux. À chaque moment il offrait de donner sa démission et de suivre son amie dans quelque retraite à mille lieues de Parme.

— Vous osez me parler de départ, et Fabrice est ici ! s’écria-t-elle enfin en se soulevant à demi. Mais comme elle aperçut que ce nom de Fabrice faisait une impression pénible, elle ajouta après un moment