Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme, II, 1927, éd. Martineau.djvu/87

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de repos et en serrant légèrement la main du comte : — Non, cher ami, je ne vous dirai pas que je vous ai aimé avec cette passion et ces transports que l’on n’éprouve plus, ce me semble, après trente ans, et je suis déjà bien loin de cet âge. On vous aura dit que j’aimais Fabrice, car je sais que le bruit en a couru dans cette cour méchante. (Ses yeux brillèrent pour la première fois dans cette conversation, en prononçant ce mot méchante.) Je vous jure devant Dieu, et sur la vie de Fabrice, que jamais il ne s’est passé entre lui et moi la plus petite chose que n’eût pas pu souffrir l’œil d’une tierce personne. Je ne vous dirai pas non plus que je l’aime exactement comme ferait une sœur ; je l’aime d’instinct, pour parler ainsi. J’aime, en lui son courage si simple et si parfait, que l’on peut dire qu’il ne s’en aperçoit pas lui-même ; je me souviens que ce genre d’admiration commença à son retour de Waterloo. Il était encore enfant, malgré ses dix-sept ans ; sa grande inquiétude était de savoir si réellement il avait assisté à la bataille, et dans le cas du oui, s’il pouvait dire s’être battu, lui qui n’avait marché à l’attaque d’aucune batterie ni d’aucune colonne ennemie. Ce fut pendant les graves discussions que nous avions ensemble sur ce sujet important, que je