Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme - T1.djvu/107

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timidité véritable ! voilà bien vingt-cinq ans que pareille aventure ne m’est arrivée. »

Il entra dans la loge en faisant presque effort sur lui-même ; et, profitant en homme d’esprit de l’accident qui lui arrivait, il ne chercha point du tout à montrer de l’aisance ou à faire de l’esprit en se jetant dans quelque récit plaisant, il eut le courage d’être timide, il employa son esprit à laisser entrevoir son trouble sans être ridicule. « Si elle prend la chose de travers, se disait-il, je me perds à jamais. Quoi ! timide avec des cheveux couverts de poudre, et qui sans le secours de la poudre paraîtraient gris ! Mais enfin la chose est vraie, donc elle ne peut être ridicule que si je l’exagère ou si j’en fais trophée. » La comtesse s’était si souvent ennuyée au château de Grianta vis-à-vis des figures poudrées de son frère, de son neveu et de quelques ennuyeux bien pensants du voisinage qu’elle ne songea pas à s’occuper de la coiffure dé son nouvel adorateur.

L’esprit de la comtesse ayant un bouclier contre l’éclat de rire de l’entrée, elle ne fut attentive qu’aux nouvelles de France que Mosca avait toujours à lui donner en particulier, en arrivant dans la loge sans doute il inventait. En les discutant avec lui, elle remarqua ce soir-là son regard, qui était beau et bienveillant. — Je m’imagine, lui dit-elle, qu’à Parme, au milieu de vos esclaves, vous n’allez pas avoir ce regard aimable, cela gâterait tout et leur donnerait quelque espoir de n’être pas pendus.

L’absence totale d’importance chez un homme qui passait pour le premier diplomate de l’Italie parut singulière à la comtesse, elle trouva même qu’il avait de la grâce. Enfin, comme il parlait bien et avec feu, elle ne fut point choquée qu’il eût Juge a propos de prendre pour une soirée, et sans conséquence, le rôle d’attentif.

Ce fut un grand pas de fait, et bien dangereux par bonheur pour le ministre, qui, à Parme, ne trouvait pas de cruelles, c’était seulement depuis peu de jours que la comtesse arrivait de Grianta ; son esprit était encore tout raidi par l’ennui de la vie champêtre. Elle avait comme oublié la plaisanterie ; et toutes ces choses qui appartiennent à une façon de vivre élégante et légère avaient pris à ses yeux comme une teinte de nouveauté qui les rendait sacrées ; elle n’était disposée à se moquer de rien, pas même d’un amoureux de quarante-cinq ans et timide. Huit jours plus tard, la témérité du comte eût pu recevoir un tout autre accueil.

A la Scala, il est d’usage de ne faire durer qu’une vingtaine de minutes ces petites visites que l’on fait dans les loges ; le comte passa toute la soirée dans celle où il avait le bonheur de rencontrer Mme Pietranera. « C’est une femme, se disait-il, qui