Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme - T1.djvu/108

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me rend toutes les folies de la jeunesse ! » Mais il sentait bien le danger. « Ma qualité de pacha tout-puissant à quarante lieues d’ici me fera-t-elle pardonner cette sottise ? je m’ennuie tant à Parme ! » Toutefois, de quart d’heure en quart d’heure il se promettait de partir.

— Il faut avouer, madame, dit-il en riant à la comtesse qu’à Parme je meurs d’ennui, et il doit m’être permis de m’enivrer de plaisir quand j’en trouve sur ma route. Ainsi, sans conséquence et pour une soirée, permettez-moi de jouer auprès de vous le rôle d’amoureux. Hélas ! dans peu de jours je serai bien loin de cette loge qui me fait oublier tous les chagrins et même, direz-vous, toutes les convenances.

Huit jours après cette visite monstre dans la loge à la Scala et à la suite de plusieurs petits incidents dont lé récit semblerait long peut-être, le comte Mosca était absolument fou d’amour, et la comtesse pensait déjà que l’âge ne devait pas faire objection, si d’ailleurs on le trouvait aimable. On en était à ces pensées quand Mosca fut rappelé par un courrier de Parme. On eût dit que son prince avait peur tout seul. La comtesse retourna à Grianta ; son imagination ne parant plus ce beau lieu, il lui parut désert. « Est-ce que je me serais attachée à cet homme ? » se dit-elle. Mosca écrivit et n’eut rien à jouer, l’absence lui avait enlevé la source de toutes ses pensées ; ses lettres étaient amusantes, et, par une petite singularité qui ne fut pas mal prise, pour éviter les commentaires du marquis del Dongo qui n’aimait pas à payer des ports de lettres, il envoyait des courriers qui jetaient les siennes à la poste à Côme, à Lecco, à Varèse ou dans quelque autre de ces petites villes charmantes des environs du lac. Ceci tendait à obtenir que le courrier lui rapportât les réponses ; il y parvint.

Bientôt les jours de courrier firent événement pour la comtesse ; ces courriers apportaient des fleurs, des fruits, de petits cadeaux sans valeur mais qui l’amusaient, ainsi que sa belle-sœur. Le souvenir du comte se mêlait à l’idée de son grand pouvoir, la comtesse était devenue curieuse de tout ce qu’on disait de lui, les libéraux eux-mêmes rendaient hommage à ses talents.

La principale source de mauvaise réputation pour le comte, c’est qu’il passait pour le chef du parti ultra à la cour de Parme, et que le parti libéral avait à sa tête une intrigante capable de tout, et même de réussir, la marquise Raversi, immensément riche. Le prince était fort attentif à ne pas décourager celui des deux partis qui n’était pas au pouvoir ; il savait bien qu’il serait toujours le maître, même avec un ministère pris dans le salon de Mme Raversi. On donnait à Grianta mille détails sur ces intrigues ; l’absence de Mosca, que tout le monde peignait