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STENDHAL
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les condottières et podestats de la Renaissance italienne, un Sforce de Milan, un Manfredi de Faenza, un Bentivoglio de Bologne, un Médicis de Florence. On sait le parti que Taine a tiré de cette filiation imprévue. Aux « passions ardentes » et à « toute. la sauvage fierté » de ces manieurs d’hommes, fi leur fougueuse initiative, à « leurs vertus publiques », Beyle oppose « les vertus privées et obligatoires » des princes de son époque, comme aussi à l’enthousiasme et à la fermeté des républicains de 1792, à la beauté des chevauchées impériales à travers l’Europe il oppose la platitude, le terre-àterre et l’hypocrisie des mœurs sous la Restauration et sous la monarchie de Juillet.

En art, c’est encore dans le même esprit qu’il s’intéresse à l’ouvrier plus qu’à l’œuvre, disons mieux : au caractère de l’œuvre plus qu’à sa perfection. Aussi préfère-t-il Giotto, malgré ses gaucheries, dont il est à peine responsable, à toute la science de David et de son école. L’école de David en peinture, c’est en poésie l’école de Boileau : c’est le respect des usages, des convenances, de l’étiquette, imposé à tout l’art par une « prétendue politique qui proscrivait les passions fortes ». Il en veut aux monarques de l’ancien régime qui ont pratiqué cette politique ; et il attend du jeune siècle qu’il « rende leurs droits » à ces passions. Voilà pourquoi il se déclare pour Shakespeare contre Racine, pour la prose contre le monotone alexandrin, pour la liberté contre les règles. Et voilà pourquoi il salue de bon cœur l’avènement du « romanticisme «, sauf à le faire tenir tout entier dans le sens du moderne, de l’actuel, et à voir dans Euripide, classique au XIXe siècle, un romantique de l’antiquité.

Si d’autre part il a tant aimé l’amour, malgré des mécomptes souvent mérités, c’est pour l’énergie singulière qu’un tel sentiment confère à l’activité, à la pensée, à l’imagination ; c’est pour l’espèce de folie qu’il provoque, cette folie qui fait rire les sages et qui est pour Stendhal la sagesse même. L’amour a la propriété de nous rendre plus instinctifs, plus véhéments, de nous convertir en d’ardentes bêtes de proie, — rien, on le voit, de moins lamartinien ; — il a le don de parer le réel, de le revêtir, comme le sel des mines de Salzbourg revêt les branches sèches qu’on y jette d’une lumineuse cristallisation. Aussi bien la beauté qui attire et retient Stendhal n’est-elle pas la beauté classique (la per-