Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme - T1.djvu/210

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sortit de sa poche de petits pistolets pour se venger du cameriere qui lui demandait deux sous d’une pêche médiocre. On l’arrêta, car porter de petits pistolets est un grand crime !

Comme ce savant irascible était long et maigre, le comte eut l’idée, le lendemain matin, de le faire passer aux yeux du prince pour le téméraire qui, ayant prétendu enlever la Fausta au comte M ***, avait été mystifié. Le port des pistolets de poche est puni de trois ans de galère à Parme ; mais cette peine n’est jamais appliquée. Après quinze jours de prison, pendant lesquels le savant n’avait vu qu’un avocat qui lui avait fait une peur horrible des lois atroces dirigées par la pusillanimité des gens au pouvoir contre les porteurs d’armes cachées, un autre avocat visita la prison et lui raconta la promenade infligée par le comte M *** à un rival qui était resté inconnu.

— La police ne veut pas avouer au prince qu’elle n’a pu savoir quel est ce rival : Avouez que vous vouliez plaire à la Fausta, que cinquante brigands vous ont enlevé comme vous chantiez sous sa fenêtre, que pendant une heure on vous a promené en chaise à porteurs sans vous adresser autre chose que des honnêtetés. Cet aveu n’a rien d’humiliant, on ne vous demande qu’un mot. Aussitôt après qu’en le prononçant vous aurez tiré la police d’embarras, elle vous embarque dans une chaise de poste et vous conduit à la frontière où l’on vous souhaite le bonsoir. Le savant résista pendant un mois : deux ou trois fois le prince fut sur le point de le faire amener au Ministère de l’intérieur, et de se trouver présent à l’interrogatoire. Mais enfin il n’y songeait plus quand l’historien, ennuyé, se détermina à tout avouer et fut conduit à la frontière. Le prince resta convaincu que le rival du comte M *** avait une forêt de cheveux rouges.

Trois jours après la promenade, comme Fabrice qui se cachait à Bologne organisait avec le fidèle Ludovic les moyens de trouver le comte M ***, il apprit que, lui aussi, se cachait dans un village de la montagne sur la route de Florence. Le comte n’avait que trois de ses buli avec lui ; le lendemain au moment où il rentrait de la promenade, il fut enlevé par huit hommes masqués qui se donnèrent à lui pour des sbires de Parme. On le conduisit, après lui avoir bandé les yeux, dans une auberge deux lieues plus avant dans la montagne, où il trouva tous les égards possibles et un souper fort abondant. On lui servit les meilleurs vins d’Italie et d’Espagne.

— Suis-je donc prisonnier d’Etat ? dit le comte.

— Pas le moins du monde ! lui répondit fort poliment Ludovic masqué. Vous avez offensé un simple particulier, en vous chargeant de le faire promener en chaise à porteurs ; demain matin, il veut se battre en duel avec vous. Si vous le tuez, vous trouverez