Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme - T1.djvu/211

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

deux bons chevaux, de l’argent et des relais préparés sur la route de Gênes.

— Quel est le nom du fier-à-bras ? dit le comte irrité.

— Il se nomme Bombace. Vous aurez le choix des armes et de bons témoins, bien loyaux, mais il faut que l’un des deux meure !

— C’est donc un assassinat ! dit le comte M ***, effrayé.

— A Dieu ne plaise ! c’est tout simplement un duel à mort avec le jeune homme que vous avez promené dans les rues de Parme au milieu de la nuit et qui resterait déshonoré si vous restiez en vie. L’un de vous deux est de trop sur la terre, ainsi tâchez de le tuer, vous aurez des épées, des pistolets, des sabres, toutes les armes qu’on a pu se procurer en quelques heures, car il a fallu se presser ; la police de Bologne est fort diligente, comme vous pouvez le savoir, et il ne faut pas qu’elle empêche ce duel nécessaire à l’honneur du jeune homme dont vous vous êtes moqué.

— Mais si ce jeune homme est un prince…

— C’est un simple particulier comme vous, et même beaucoup moins riche que vous, mais il veut se battre à mort, et il vous forcera à vous battre, je vous en avertis.

— Je ne crains rien au monde ! s’écria M ***.

— C’est ce que votre adversaire désire avec le plus de passion, répliqua Ludovic. Demain, de grand matin, préparez-vous à défendre votre vie ; elle sera attaquée par un homme qui a raison d’être fort en colère et qui ne vous ménagera pas ; je vous répète que vous aurez le choix des armes ; et faites votre testament.

Vers les six heures du matin, le lendemain, on servit à déjeuner au comte M ***, puis on ouvrit une porte de la chambre où il était gardé, et on l’engagea à passer dans la cour d’une auberge de campagne ; cette cour était environnée de haies et de murs assez hauts, et les portes en étaient soigneusement fermées.

Dans un angle, sur une table de laquelle on invita le comte M *** à s’approcher, il trouva quelques bouteilles de vin et d’eau-de-vie, deux pistolets, deux épées, deux sabres, du papier et de l’encre ; une vingtaine de paysans étaient aux fenêtres de l’auberge qui donnaient sur la cour. Le comte implora leur pitié.

— On veut m’assassiner ! s’écriait-il, sauvez-moi la vie !

— Vous vous trompez ! ou vous voulez tromper, lui cria Fabrice qui était à l’angle opposé de la cour, à côté d’une table chargée d’armes.

Il avait mis habit bas, et sa figure était cachée par un de ces masques en fil de fer qu’on trouve dans les salles d’armes.

— Je vous engage, ajouta Fabrice, à prendre le masque en