Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme - T1.djvu/79

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avait été frappé par la douleur morne et silencieuse de ces trois personnages’. « On dirait des génies enchantés », se dit-il. Enfin il ouvrit le papier plié et lut l’ordre ainsi conçu :

Le colonel Le Baron, du 6e dragons, commandant la seconde brigade de la première division de cavalerie du 14e corps, ordonne à tous cavaliers, dragons, chasseurs et hussards de ne point passer le pont, et de le rejoindre à l’Auberge du Cheval-Blanc, près le pont, où est son quartier général.

Au quartier général, près le pont de la Sainte, le 19 juin 1815.

Pour le colonel Le Baron, blessé au bras droit, et par son ordre, le maréchal des logis. La Rose.

Il y avait à peine une demi-heure que Fabrice était en sentinelle au pont, quand il vit arriver six chasseurs montés et trois à pied ; il leur communique l’ordre du colonel.

— Nous allons revenir, disent quatre des chasseurs montés, et ils passent le pont au grand trot.

Fabrice parlait alors aux deux autres. Durant la discussion qui s’animait, les trois hommes à pied passent le pont. Un des deux chasseurs montés qui restaient finit par demander à revoir l’ordre, et l’emporte en disant :

— Je vais le porter à mes camarades, qui ne manqueront pas de revenir, attends-les ferme.

Et il part au galop ; son camarade le suit. Tout cela fut fait en un clin d’oeil.

Fabrice, furieux appela un des soldats blessés, qui parut à une dés fenêtres du Cheval-Blanc. Ce soldat, auquel Fabrice vit des galons de maréchal des logis, descendit et lui cria en s’approchant.

— Sabre à la main donc ! vous êtes en faction.

Fabrice obéit, puis lui dit :

— Ils ont emporté l’ordre.

— Ils ont de l’humeur de l’affaire d’hier, reprit l’autre d’un air morne. Je vais vous donner un de mes pistolets ; si l’on force de nouveau la consigne, tirez-le en l’air, je viendrai, ou le colonel lui-même paraîtra.

Fabrice avait fort bien vu un geste de surprise chez le maréchal des logis, à l’annonce de l’ordre enlevé ; il comprit que c’était une insulte personnelle qu’on lui avait faite, et se promit bien de ne plus se laisser jouer.

Armé du pistolet d’arçon du maréchal des logis, Fabrice avait repris fièrement sa faction lorsqu’il vit arriver à lui sept hussards montés : il s’était placé de façon à barrer le pont, il leur communique l’ordre du colonel, ils en ont l’air fort contrarié, le plus hardi cherche à passer. Fabrice suivant le sage précepte de son amie la vivandière qui, la veille au matin, lui