Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme - T1.djvu/80

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disait qu’il fallait piquer et non sabrer, abaisse la pointe de son grand sabre droit et fait mine d’en porter un coup à celui qui veut forcer la consigne.

— Ah ! il veut nous tuer, le blanc-bec ! s’écrient les hussards, comme si nous n’avions pas été assez tués hier !

Tous tirent leurs sabres à la fois et tombent sur Fabrice ; il se crut mort ; mais il songea à la surprise du maréchal des logis, et ne voulut pas être méprisé de nouveau. Tout en reculant sur son pont, il tâchait de donner des coups de pointe. Il avait une si drôle de mine en maniant ce grand sabre droit de grosse cavalerie, beaucoup trop lourd pour lui, que les hussards virent bientôt à qui ils avaient affaire ; ils cherchèrent alors, non pas à le blesser, mais à lui couper son habit sur le corps. Fabrice reçut ainsi trois ou quatre petits coups de sabre sur les bras. Pour lui, toujours fidèle au précepte de la cantinière, il lançait de tout son cœur force coups de pointe. Par malheur un de ces coups de pointe blessa un hussard à la main : fort en colère d’être touché par un tel soldat, il riposta par un coup de pointe à fond qui atteignit Fabrice au haut de la cuisse. Ce qui fit porter le coup, c’est que le cheval de notre héros, loin de fuir la bagarre, semblait y prendre plaisir et se jeter sur les assaillants. Ceux-ci voyant couler le sang de Fabrice le long de son bras droit, craignirent d’avoir poussé le jeu trop avant, et, le poussant vers le parapet gauche du pont, partirent au galop. Dès que Fabrice eut un moment de loisir il tira en l’air son coup de pistolet pour avertir le colonel.

Quatre hussards montés et deux à pied, du même régiment que les autres, venaient vers le pont et en étaient encore à deux cents pas lorsque le coup de pistolet partit : ils regardaient fort attentivement ce qui se passait sur le pont, et s’imaginant que Fabrice avait tiré sur leurs camarades, les quatre à cheval fondirent sur lui au galop et le sabre haut, c’était une véritable charge. Le colonel Le Baron, averti par le coup de pistolet, ouvrit la porte de l’auberge et se précipita sur le pont au moment où les hussards au galop y arrivaient, et il leur intima lui-même l’ordre de s’arrêter.

— Il n’y a plus de colonel ici, s’écria l’un d’eux, et il poussa son cheval.

Le colonel exaspéré, interrompit la remontrance qu’il leur adressait, et, de sa main droite blessée, saisit la rêne de ce cheval du côté hors du montoir.

— Arrête ! mauvais soldat, dit-il au hussard ; je te connais, tu es de la compagnie du capitaine Henriet.

— Eh bien ! que le capitaine lui-même me donne l’ordre ! Le capitaine Henriet a été tué hier, ajouta-t-il en ricanant et va te faire f…

En disant ces paroles, il veut forcer le passage et pousse le