Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme - T1.djvu/95

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toutes les journées qui ont suivi son départ de Grianta, quels que soient la grandeur de sa naissance et le respect que je porte aux amis de sa famille, mon devoir n’est-il pas de le faire arrêter ? Ne dois-je pas le retenir en prison jusqu’à ce qu’il m’ait donné la preuve qu’il n’est pas allé porter des paroles à Napoléon de la part de quelques mécontents qui peuvent exister en Lombardie parmi les sujets de Sa Majesté Impériale et Royale ? Remarquez encore, messieurs, que si le jeune del Dongo parvient à se justifier sur ce point, il restera coupable d’avoir passé à l’étranger sans passeport régulièrement délivré, et de plus en prenant un faux nom et faisant usage sciemment d’un passeport délivré à un simple ouvrier, c’est-à-dire à un individu d’une classe tellement au-dessous de celle à laquelle il appartient. Cette déclaration, cruellement raisonnable, était accompagnée de toutes les marques de déférence et de respect que le chef de la police devait à la haute position de la marquise del Dongo et à celle des personnages importants qui venaient s’entremettre pour elle.

La marquise fut au désespoir quand elle apprit la réponse du baron Binder.

— Fabrice va être arrêté, s’écria-t-elle en pleurant, et une fois en prison, Dieu sait quand il en sortira ! Son père le reniera !

Mme Pietranera et sa belle-sœur tinrent conseil avec deux ou trois amis intimes et, quoi qu’ils pussent dire la marquise voulut absolument faire partir son fils dès la nuit suivante.

— Mais tu vois bien, lui disait la comtesse, que le baron Binder sait que ton fils est ici, cet homme n’est point méchant.

— Non, mais il veut plaire à l’empereur François.

— Mais s’il croyait utile à son avancement de jeter Fabrice en prison, il y serait déjà ; et c’est lui marquer une méfiance injurieuse que de le faire sauver.

— Mais nous avouer qu’il sait où est Fabrice c’est nous dire faites-le partir ! Non, je ne vivrai pas tant que je pourrai me répéter : Dans un quart d’heure mon fils peut être entre quatre murailles ! Quelle que soit l’ambition du baron Binder ajoutait la marquise, il croit utile à sa position personnelle en ce pays d’afficher des ménagements pour un homme du rang de mon mari, et j’en vois une preuve dans cette ouverture de cour singulière avec laquelle il avoue qu’il sait où prendre mon fils. Bien plus, le baron détaille complaisamment les deux contraventions dont Fabrice est accusé d’après la dénonciation de son indigne frère ; il explique que ces deux contraventions emportent la prison ; n’est-ce pas nous dire que si nous aimons mieux l’exil c’est à nous de choisir ?

— Si tu choisis l’exil, répétait toujours la comtesse, de la vie nous ne le reverrons.

Fabrice, présent à tout l’entretien, avec