Page:Stendhal - La Chartreuse de Parme - T1.djvu/98

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les légendes de ces gravures que mon neveu apprit à lire. Dès l’âge de cinq ans, mon pauvre mari lui expliquait ces batailles ; nous lui mettions sur la tête le casque de mon mari, l’enfant traînait son grand sabre. Eh bien ! un beau jour il apprend que le dieu de mon mari, que l’Empereur est de retour en France ; il part pour le rejoindre, comme un étourdi, mais il n’y réussit pas. Demandez à votre baron de quelle peine il veut punir ce moment de folie.

— J’oubliais une chose, s’écria le chanoine vous allez voir que je ne suis pas tout à fait indigne du pardon que vous m’accordez. Voici, dit-il en cherchant sur la table parmi ses papiers, voici la dénonciation de cet infâme coltorto (hypocrite), voyez, signée Ascanio Valserra del Dongo, qui a commencé toute cette affaire, je l’ai prise hier soir dans les bureaux de la police, et suis allé à la Scala, dans l’espoir de trouver quelqu’un allant d’habitude dans votre loge, par lequel je pourrais vous la faire communiquer. Copie de cette pièce est à Vienne depuis longtemps. Voilà l’ennemi que nous devons combattre.

Le chanoine lut la dénonciation avec la comtesse, et il fut convenu que, dans la journée, il lui en ferait tenir une copie par une personne sûre. Ce fut la joie dans le cœur que la comtesse rentra au palais del Dongo.

— Il est impossible d’être plus galant homme que cet ancien coquin, dit-elle à la marquise ; ce soir à la Scala, à dix heures trois quarts à l’horloge du théâtre, nous renverrons tout le monde de notre loge, nous éteindrons les bougies, nous fermerons notre porte, et, à onze heures, le chanoine lui-même viendra nous dire ce qu’il a pu faire. C’est ce que nous avons trouvé de moins compromettant pour lui.

Ce chanoine avait beaucoup d’esprit ; il n’eut garde de manquer au rendez-vous ; il y montra une bonté complète et une ouverture de cœur sans réserve que l’on ne trouve guère que dans les pays où la vanité ne domine pas tous les sentiments. Sa dénonciation de la comtesse au général Pietranera, son mari, était un des grands remords de sa vie, et il trouvait un moyen d’abolir ce remords.

Le matin, quand la comtesse était sortie de chez lui : "La voilà qui fait l’amour avec son neveu, s’était-il dit avec amertume, car il n’était point guéri. Altière comme elle l’est, être venue chez moi !… A la mort de ce pauvre Pietranera, elle repoussa avec horreur mes offres de service, quoique fort polies et très bien présentées par le colonel Scotti, son ancien amant. La belle Pietranera vivre avec 1500 francs ! ajoutait le chanoine en se promenant avec action dans sa chambre ! Puis aller habiter le château de Grianta avec un abominable secatore, ce marquis del Dongo !… Tout s’explique maintenant ! Au fait, ce