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vieillard à cheveux blancs, fit faire halte au régiment. — F…, dit-il aux soldats, du temps de la République, on attendait pour filer d’y être forcé par l’ennemi… Défendez chaque pouce de terrain et faites-vous tuer, s’écriait-il en jurant ; c’est maintenant le sol de la patrie que ces Prussiens veulent envahir !

La petite charrette s’arrêta, Fabrice se réveilla tout à coup. Le soleil était couché depuis longtemps ; il fut tout étonné de voir qu’il était presque nuit. Les soldats couraient de côté et d’autre dans une confusion qui surprit fort notre héros ; il trouva qu’ils avaient l’air penaud.

— Qu’est-ce donc ? dit-il à la cantinière.

— Rien du tout. C’est que nous sommes flambés, mon petit ; c’est la cavalerie des Prussiens qui nous sabre, rien que ça. Le bêta de général a d’abord cru que c’était la nôtre. Allons, vivement, aide-moi à réparer le trait de Cocotte qui s’est cassé.

Quelques coups de fusil partirent à dix pas de distance ; notre héros, frais et dispos, se dit : Mais réellement pendant toute la journée je ne me suis pas battu, j’ai seulement escorté un général.

— Il faut que je me batte, dit-il à la cantinière.

— Sois tranquille, tu te battras, et plus que tu ne voudras ! Nous sommes perdus.

Aubry, mon garçon, cria-t-elle à un caporal qui