Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 1), 1883.djvu/14

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— VIII —

amant du simple et du vrai était un homme terriblement compliqué, qui joignait à une timidité inavouée, et dont il enrageait, un orgueil tout plein de petitesses. Mais en ce temps-là nous ne comprenions rien à ces mystères subtils de vanité souffrante ; nous attribuions à une noble indépendance de caractère, à un superbe mépris de la popularité bête les calculs d’un amour-propre raffiné qui se tourmente lui-même. Il n’y a pas à dire : nous cristallisions.

Ajoutez qu’il y avait dans son talent comme dans la conduite de sa vie un je ne sais quoi d’énigmatique qui irritait encore notre curiosité. Balzac est un colosse tout en dehors : on le voit tout entier et on le mesure d’un coup d’œil. Le génie de Stendhal ressemblait à une de ces boîtes du Japon, extraordinairement compliquées, qu’il faut démonter morceau par morceau pour découvrir la figurine qui s’y cache ; et encore s’aperçoit-on, quand l’opération est terminée, qu’on a oublié quelque tiroir secret, qui ne s’ouvre que par la pression d’un ressort invisible. Ce mystère même piquait notre admiration. Nous étions bien aises de nous prouver à nous-mêmes notre sagacité, en ne laissant aucun coin inexploré. Moi, qui vous parle, vous me croirez si vous voulez, de vingt à trente ans, j’avais compris d’un bout