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à l’autre le livre de l’Amour ; j’en avais sondé les obscurités les plus impénétrables ; je me les étais expliquées ; les théories les plus absconses de Stendhal n’avaient plus de secret pour moi. Je goûtais la joie pleine et parfaite des initiés, qui est, comme on sait, d’être en communication intime avec Dieu. Plus tard, je relus l’Amour, qui était sorti de ma mémoire. J’avais sans doute perdu ma clef dans l’intervalle ; il y eut nombre de pages où je n’entrai plus. Je les trouvai peu claires, et il faut bien avouer qu’elles l’étaient.

Tous les hommes de ma génération ont connu, comme moi, ces oscillations de goût, dont je conte aujourd’hui l’histoire. Nous avons trouvé Stendhal inconnu, méprisé presque ; nous nous sommes pris pour lui d’un enthousiasme sans bornes ; nous l’avons bombardé grand homme, sans dire gare ; nous avons crié son nom à tous les échos de la popularité ; nous avons imposé l’admiration de ses ouvrages au grand public, qui les a achetés avec plus d’empressement qu’il ne les a lus. Cette première ferveur est tombée peu à peu. Nous avons eu le temps, depuis 1850, de recouvrer notre sang-froid et de reprendre notre équilibre. Quand il nous arrive à présent de relire une des œuvres de Stendhal qui ont passionné notre jeunesse, nous éprouvons ce mélange d’atten-