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faut cacher nos amours, dit la duchesse à son ami ; et elle laissa deviner au prince qu’elle n’était plus que fort médiocrement éprise du comte, homme d’ailleurs si estimable.

Cette découverte avait donné un jour heureux à son altesse. De temps à autre, la duchesse laissait tomber quelques mots du projet qu’elle aurait de se donner chaque année un congé de quelques mois, qu’elle emploierait à voir l’Italie qu’elle ne connaissait point : elle irait visiter Naples, Florence, Rome. Or, rien au monde ne pouvait faire plus de peine au prince qu’une telle apparence de désertion : c’était là une de ses faiblesses les plus marquées, les démarches qui pouvaient être imputées à mépris pour sa ville capitale lui perçaient le cœur. Il sentait qu’il n’avait aucun moyen de retenir Mme Sanseverina, et Mme Sanseverina était de bien loin la femme la plus brillante de Parme. Chose unique avec la paresse italienne, on revenait des campagnes environnantes pour assister à ses jeudis ; c’étaient de véritables fêtes ; presque toujours la duchesse y avait quelque chose de neuf et de piquant. Le prince mourait d’envie de voir un de ces jeudis ; mais comment s’y prendre ? Aller chez un simple particulier ! c’était une chose que ni son père ni lui n’avaient jamais faite !

Un certain jeudi, il pleuvait, il faisait froid ; à chaque instant de la soirée le duc entendait des voitures qui ébranlaient le pavé de la place du