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tait le premier ministre, comte Mosca de la Rovère, à l’instant où il lui fut permis de quitter son auguste maître ? Ranuce-Ernest IV était parfaitement habile dans l’art de torturer un cœur, et je pourrais faire ici sans trop d’injustice la comparaison du tigre qui aime à jouer avec sa proie.

Le comte se fit reconduire chez lui au galop ; il cria en passant qu’on ne laissât monter âme qui vive, fit dire à l’auditeur de service qu’il lui rendait la liberté (savoir un être humain à portée de sa voix lui était odieux), et courut s’enfermer dans la grande galerie de tableaux. Là enfin il put se livrer à toute sa fureur ; là il passa la soirée sans lumière, à se promener au hasard, comme un homme hors de lui. Il cherchait à imposer silence à son cœur, pour concentrer toute la force de son attention dans la discussion du parti à prendre. Plongé dans des angoisses qui eussent fait pitié à son plus cruel ennemi, il se disait : L’homme que j’abhorre loge chez la duchesse, passe tous ses moments avec elle. Dois-je tenter de faire parler une de ses femmes ? Rien de plus dangereux ; elle est si bonne ; elle les paie bien ! elle en est adorée ! (Et de qui, grand Dieu, n’est-elle pas adorée !) Voici la question, reprenait-il avec rage :

Faut-il laisser deviner la jalousie qui me dévore, ou ne pas en parler ?

Si je me tais, on ne se cachera point de moi. Je connais Gina, c’est une femme toute de pre-