Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 1), 1883.djvu/263

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mier mouvement ; sa conduite est imprévue même pour elle ; si elle veut se tracer un rôle d’avance, elle s’embrouille ; toujours, au moment de l’action, il lui vient une nouvelle idée qu’elle suit avec transport comme étant ce qu’il y a de mieux au monde, et qui gâte tout.

Ne disant mot de mon martyre, on ne se cache point de moi et je vois tout ce qui peut se passer…

Oui, mais en parlant, je fais naître d’autres circonstances ; je fais faire des réflexions ; je préviens beaucoup de ces choses horribles qui peuvent arriver… Peut-être on l’éloigne (le comte respira), alors j’ai presque partie gagnée ; quand même on aurait un peu d’humeur dans le moment, je la calmerai… et cette humeur, quoi de plus naturel ?… elle l’aime comme un fils depuis quinze ans. Là gît tout mon espoir : comme un fils… mais elle a cessé de le voir depuis sa fuite pour Waterloo ; mais en revenant de Naples, surtout pour elle, c’est un autre homme. Un autre homme ! répéta-t-il avec rage, et cet homme est charmant ; il a surtout cet air naïf et tendre et cet œil souriant qui promet tant de bonheur ! et ces yeux-là la duchesse ne doit pas être accoutumée à les trouver à notre cour !… Ils y sont remplacés par le regard morne ou sardonique. Moi-même, poursuivi par les affaires, ne régnant que par mon influence sur un homme qui voudrait me tourner