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Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 2), 1883.djvu/13

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prince ; on doit passer quelque chose à une femme unique et telle que peut-être il n’en existe pas une seconde dans toute l’Italie… Eh bien ! avec un peu de bonne politique il ne serait peut-être pas impossible d’en faire un jour ma maîtresse ; il y a loin d’un tel être à cette poupée de marquise Balbi, et qui encore chaque année vole au moins trois cent mille francs à mes pauvres sujets… Mais l’ai-je bien entendu ? pensa-t-il tout à coup ; elle a dit : condamné mon neveu et tant d’autres ; alors la colère surnagea, et ce fut avec une hauteur digne du rang suprême que le prince dit, après un silence : — Et que faudrait-il faire pour que madame ne partît point ?

— Quelque chose dont vous n’êtes pas capable, répliqua la duchesse avec l’accent de l’ironie la plus amère et du mépris le moins déguisé.

Le prince était hors de lui, mais il devait à l’habitude de son métier de souverain absolu la force de résister à un premier mouvement. Il faut avoir cette femme, se dit-il, c’est ce que je me dois, puis il faut la faire mourir par le mépris… Si elle sort de ce cabinet, je ne la revois jamais. Mais, ivre de colère et de haine comme il l’était en ce moment, où trouver un mot qui pût satisfaire à la fois à ce qu’il se devait à lui-même et porter la duchesse à ne pas déserter sa cour à l’instant ? On ne peut, se dit-il, ni répéter ni tourner en ridicule un geste, et il alla se placer