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Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 2), 1883.djvu/12

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meurtre a été commis, c’est ce qu’on ne saurait nier ; j’ai confié l’instruction du procès à mes meilleurs juges…

À ces mots, la duchesse se releva de toute sa hauteur ; toute apparence de respect et même d’urbanité disparut en un clin d’œil : la femme outragée parut clairement, et la femme outragée s’adressant à un être qu’elle sait de mauvaise foi. Ce fut avec l’expression de la colère la plus vive et même du mépris qu’elle dit au prince, en pesant sur tous les mots :

— Je quitte à jamais les États de votre altesse sérénissime, pour ne jamais entendre parler du fiscal Rassi et des autres infâmes assassins qui ont condamné à mort mon neveu et tant d’autres ; si votre altesse sérénissime ne veut pas mêler un sentiment d’amertume aux derniers instants que je passe auprès d’un prince poli et spirituel quand il n’est pas trompé, je la prie très-humblement de ne pas me rappeler l’idée de ces juges infâmes qui se vendent pour mille écus ou une croix.

L’accent admirable et surtout vrai avec lequel furent prononcées ces paroles fit tressaillir le prince ; il craignit un instant de voir sa dignité compromise par une accusation encore plus directe, mais au total sa sensation finit bientôt par être de plaisir : il admirait la duchesse ; l’ensemble de sa personne atteignit en ce moment une beauté sublime. Grand Dieu ! qu’elle est belle ! se dit le