Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 2), 1883.djvu/209

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 205 —

La duchesse avait remarqué qu’il était horriblement maigre ; mais ses yeux étaient tellement beaux et remplis d’une exaltation si tendre, qu’ils lui ôtèrent l’idée du crime. Pallagi, pensa-t-elle, aurait bien dû donner de tels yeux au saint Jean dans le désert qu’il vient de placer à la cathédrale. L’idée de saint lui était suggérée par l’incroyable maigreur de Ferrante. La duchesse lui donna trois sequins qu’elle avait dans sa bourse, s’excusant de lui offrir si peu sur ce qu’elle venait de payer un compte à son jardinier. Ferrante la remercia avec effusion. — Hélas ! lui dit-il, autrefois j’habitais les villes, je voyais des femmes élégantes ; depuis qu’en remplissant mes devoirs de citoyen je me suis fait condamner à mort, je vis dans les bois, et je vous suivais, non pour vous demander l’aumône ou vous voler, mais comme un sauvage fasciné par une angélique beauté. Il y a si longtemps que je n’ai vu deux belles mains blanches !

— Levez-vous donc, lui dit la duchesse ; car il était resté à genoux.

— Permettez que je reste ainsi, lui dit Ferrante ; cette position me prouve que je ne suis pas occupé actuellement à voler, et elle me tranquillise ; car vous saurez que je vole pour vivre depuis que l’on m’empêche d’exercer ma profession. Mais dans ce moment-ci je ne suis qu’un simple mortel qui adore la sublime beauté. La duchesse comprit qu’il était un peu fou, mais elle n’eut