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baisa et qu’il mit dans son sein, puis la rendit.

— Vous me rendez cette bourse et vous volez !

— Sans doute ; mon institution est telle, jamais je ne dois avoir plus de cent francs ; or maintenant la mère de mes enfants a quatre-vingts francs et moi j’en ai vingt-cinq, je suis en faute de cinq francs, et si l’on me pendait en ce moment j’aurais des remords. J’ai pris ce sequin parce qu’il vient de vous et que je vous aime.

L’intonation de ce mot fort simple fut parfaite. Il aime réellement, se dit la duchesse.

Ce jour-là il avait l’air tout à fait égaré. Il dit qu’il y avait à Parme des gens qui lui devaient six cents francs, et qu’avec cette somme il réparerait sa cabane où maintenant ses pauvres petits enfants s’enrhumaient.

— Mais je vous ferai l’avance de ces six cents francs, dit la duchesse tout émue.

— Mais alors, moi, homme public, le parti contraire ne pourra-t-il pas me calomnier, et dire que je me vends ?

La duchesse attendrie lui offrit une cachette à Parme s’il voulait lui jurer que pour le moment il n’exercerait point sa magistrature dans cette ville, que surtout il n’exécuterait aucun des arrêts de mort que, disait-il, il avait in petto.

— Et si l’on me pend par suite de mon imprudence, dit gravement Ferrante, tous ces coquins si nuisibles au peuple vivront de longues années,