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qui lui sembla égal ou supérieur à tout ce qu’on a fait de plus beau en Italie depuis deux siècles. Ferrante obtint plusieurs entrevues ; mais son amour s’exalta, devint importun, et la duchesse s’aperçut que cette passion suivait les lois de tous les amours que l’on met dans la possibilité de concevoir une lueur d’espérance. Elle le renvoya dans ses bois, lui défendit de lui adresser la parole : il obéit à l’instant et avec une douceur parfaite. Les choses en étaient à ce point quand Fabrice fut arrêté. Trois jours après, à la tombée de la nuit, un capucin se présenta à la porte du palais Sanseverina ; il avait, disait-il, un secret important à communiquer à la maîtresse du logis. Elle était si malheureuse qu’elle fit entrer : c’était Ferrante. — Il se passe ici une nouvelle iniquité dont le tribun du peuple doit prendre connaissance, lui dit cet homme fou d’amour. D’autre part, agissant comme simple particulier, ajouta-t-il, je ne puis donner à madame la duchesse Sanseverina que ma vie, et je la lui apporte.

Ce dévouement si sincère de la part d’un voleur et d’un fou toucha vivement la duchesse. Elle parla longtemps à cet homme qui passait pour le plus grand poëte du nord de l’Italie, et pleura beaucoup. Voilà un homme qui comprend mon cœur, se disait-elle. Le lendemain il reparut, toujours à l’Ave Maria, déguisé en domestique et portant livrée.