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prince dans les jardins, ils se portent fort bien, seulement ils sont en voyage. Le comte Zurla, ministre de l’intérieur, est allé lui-même à la demeure de chacun de ces héros malheureux, et a remis quinze sequins à leurs familles ou à leurs amis, avec ordre de dire que le défunt était en voyage, et menace très-expresse de la prison, si l’on s’avisait de faire entendre qu’il avait été tué. Un homme de mon propre ministère, les affaires étrangères, a été envoyé en mission auprès des journalistes de Milan et de Turin, afin qu’on ne parle pas du malheureux événement, c’est le mot consacré ; cet homme doit pousser jusqu’à Paris et Londres, afin de démentir dans tous les journaux, et presque officiellement, tout ce qu’on pourrait dire de nos troubles. Un autre agent s’est acheminé vers Bologne et Florence. J’ai haussé les épaules.

Mais le plaisant, à mon âge, c’est que j’ai eu un moment d’enthousiasme en parlant aux soldats de la garde et arrachant les épaulettes de ce pleutre de général P… En cet instant j’aurais donné ma vie, sans balancer, pour le prince ; j’avoue maintenant que c’eût été une façon bien bête de finir. Aujourd’hui, le prince, tout bon jeune homme qu’il est, donnerait cent écus pour que je mourusse de maladie ; il n’ose pas encore me demander ma démission, mais nous nous parlons le plus rarement possible, et je lui envoie une quantité de petits rap-