Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 2), 1883.djvu/309

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 305 —

Ces figures-là n’imposaient guère au prince, et d’ailleurs, élevées à Munich dans les vrais principes monarchiques, elles applaudissaient toujours. Usant de son autorité comme grande-maîtresse, la duchesse ferma à clef la porte par laquelle le vulgaire des courtisans entrait au spectacle. Le prince, qui avait de l’esprit littéraire, et une belle figure, se tira fort bien de ses premières scènes ; il répétait avec intelligence les phrases qu’il lisait dans les yeux de la duchesse, ou qu’elle lui indiquait à demi-voix. Dans un moment où les rares spectateurs applaudissaient de toutes leurs forces, la duchesse fit un signe, la porte d’honneur fut ouverte, et la salle de spectacle occupée en un instant par toutes les jolies femmes de la cour, qui, trouvant au prince une figure charmante et l’air fort heureux, se mirent à applaudir ; le prince rougit de bonheur. Il jouait le rôle d’un amoureux de la duchesse. Bien loin d’avoir à lui suggérer des paroles, bientôt elle fut obligée de l’engager à abréger les scènes ; il parlait d’amour avec un enthousiasme qui souvent embarrassait l’actrice ; ses répliques duraient cinq minutes. La duchesse n’était plus cette beauté éblouissante de l’année précédente ; la prison de Fabrice, et, bien plus encore, le séjour sur le lac Majeur avec Fabrice, devenu morose et silencieux, avaient donné dix ans de plus à la belle Gina. Ses traits s’étaient marqués, ils avaient plus d’esprit et moins de jeunesse.