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grande-maîtresse savait si bien ménager : le chambellan de service lui courut après pour lui dire qu’il avait été désigné pour faire le whist du prince. À Parme, c’est un honneur insigne et bien au-dessus du rang que le coadjuteur occupait dans le monde. Faire le whist était un honneur marqué même pour l’archevêque. À la parole du chambellan, Fabrice se sentit percer le cœur, et quoique ennemi mortel de toute scène publique, il fut sur le point d’aller lui dire qu’il avait été saisi d’un étourdissement subit ; mais il pensa qu’il serait en butte à des questions et des compliments de condoléance, plus intolérables encore que le jeu. Ce jour-là il avait horreur de parler.

Heureusement le général des Frères mineurs se trouvait au nombre des grands personnages qui étaient venus faire leur cour à la princesse. Ce moine, fort savant, digne émule des Fontana et des Duvoisin, s’était placé dans un coin reculé du salon : Fabrice prit poste debout devant lui, de façon à ne point apercevoir la porte d’entrée, et lui parla théologie. Mais il ne put faire que son oreille n’entendît pas annoncer M. le marquis et Mme la marquise Crescenzi. Fabrice, contre son attente, éprouva un violent mouvement de colère.

— Si j’étais Borso Valserra, se dit-il (c’était un des généraux du premier Sforce), j’irais poignarder ce lourd marquis, précisément avec ce petit poignard à manche d’ivoire que Clélia me