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pés, on voyait arriver cinq ou six officiers parlant haut et d’un air tout militaire et discutant habituellement sur le nombre et l’espèce des boutons que doit porter l’habit du soldat pour que le général en chef puisse remporter des victoires. Il n’eût pas été prudent de citer dans ce salon un journal français ; car, quand même la nouvelle se fût trouvée des plus agréables, par exemple cinquante libéraux fusillés en Espagne, le narrateur n’en fût pas moins resté convaincu d’avoir lu un journal français. Le chef-d’œuvre de l’habileté de tous ces gens-là était d’obtenir tous les dix ans une augmentation de pension de 150 francs. C’est ainsi que le prince partage avec sa noblesse le plaisir de régner sur les paysans et sur les bourgeois.

Le principal personnage, sans contredit, du salon Crescenzi, était le chevalier Foscarini, parfaitement honnête homme ; aussi avait-il été un peu en prison sous tous les régimes. Il était membre de cette fameuse chambre des députés qui, à Milan, rejeta la loi de l’enregistrement présentée par Napoléon, trait peu fréquent dans l’histoire. Le chevalier Foscarini, après avoir été vingt ans l’ami de la mère du marquis, était resté l’homme influent dans la maison. Il avait toujours quelque conte plaisant à faire, mais rien n’échappait à sa finesse ; et la jeune marquise, qui se sentait coupable au fond du cœur, tremblait devant lui.

Comme Gonzo avait une véritable passion pour